168 km de course à pied, 6000 D+ en 34 h 56'
J'ai toujours été très manuelle, et
passionnée de dentelle aux fuseaux. Mais je n'étais pas sportive.
je ne pouvais et n'aimais pas courir plus de 5 minutes mis à part
dans les descentes en montagne. Lorsque en 2014, j'ai découvert la
marche nordique. J'ai débuté les cours dans le club d'athlétisme
de Beauchamp. Sur le plat ça allait mais la moindre montée me
mettait au bord de l'évanouissement. Petit à petit ma résistance
s' est développée et j'ai même commencé des compétitions de
marche nordique.
1 an ½ plus tard, après incitation de
mon mari Laurent, grand sportif lui (triathlons, longues distances,
ultra-trails) je tentais mon premier trail de 17 km, puis 33 km le
mois suivant et 4 mois plus tard le 42 km du Vercors toujours avec
lui comme coach attentif, bienveillant et chevalier servant.
Le virus était pris et à partir de là
les trails (parfois toute seule maintenant) et les compétitions de
marche nordique s'enchaînent mais je n'ai pas arrêté la dentelle !
Septembre 2018, je fais les mythique
100 km de Millau avec une amie en 18 h (Laurent et un autre ami en
accompagnateurs vélo) , un super souvenir et la découverte que l'on
peut marcher à bonne allure sur des distances très importantes !
Cependant, deux échecs cette année, 2
trails de 80 km qui ne passent pas pour différentes raisons. Le
premier, le 80 du GRP, j'étais seule et devais passer une nuit
dans la montagne, c'était trop angoissant sans mon Laurent. Le
deuxième, la maxirace et ses problèmes de gestion du trop grand
nombre de coureurs sur les passages étroits, plus d'une heure
d'attente, donc Barrières horaires dépassées et arrêt au 57 km..
80 km devient une distance maudite...
Mon plus gros trail étant de 73 km (donc
pas beaucoup moins), je savais que je pouvais faire plus.
Laurent confiant décide que je que
suis prête pour un ultra !
Après réflexion commune, ce sera :
L'ultra 01XT expérience 165km et 6000 D +.
Les barrières horaires
sont parait-il larges... Mais cela ne change pas grand chose, il va
falloir s'entraîner plus !
Je me planifie un entraînement assez
intense, mais doux pour ne pas me blesser. Beaucoup de sorties
marche nordique, beaucoup de vélo elliptique et d'appartement,
quelques petits trails, un peu de renforcement musculaire, du yoga et
surtout le dernier mois une alimentation très équilibrée.
Arrive
le jour J
Comment raconter cette aventure, Nous
sommes environ 210 participants pour le 165 solo, mais il y a aussi
des équipes de relayeurs soit à 2, 4, 6 ou 8 coureurs et aussi des
pacers. Ça fait un peu de monde mais tous ne se lancent pas pour la
même aventure... J'ai un peu peur, mais je suis confiante avec
Laurent à mes côtés, son expérience, sa solidité et son amour !
Il va pouvoir m'accompagner et me conseiller.
Le départ est à 6 h du soir. Il fait
très lourd, le temps est orageux. Un peu de plat avant d'attaquer
une légère montée, je n'aime pas courir sur les faux-plats, je
préfère marcher vite mais quand tout le monde court à côté c'est
un peu gênant de marcher. Du coup j'alterne. Enfin on arrive à la
première vraie montée et je vais pouvoir marcher tranquillement.
C'était sans compter l'atmosphère orageuse très lourde et
l'angoisse de réussir ce challenge. Je commence. à me sentir un peu
mal, la tête qui tourne, je transpire énormément (normalement
très peu)... hou-là, j'appelle Laurent qui est devant, je dois
m'arrêter. Je tente de reprendre mes esprits, je repars, ça
recommence, Laurent à côté de moi commence à s'inquiéter mais je
sais qu'il faut juste que je me calme. A un moment je dois même
m’asseoir et là tout le monde nous double. Ils doivent se demander
qui sont ces 2 touristes bloqués au km 4 d'une épreuve de 165 km !
Nous sommes bons derniers maintenant, il n'y a plus personne
derrière. Je repars tout doucement. Je pense à la BH (Barrière
Horaire), ça va être difficile à passer mais je me concentre et
parviens à retrouver une allure qui va en s'améliorant. On rattrape
même des coureurs et ça me donne du courage. Si j'ai pu m'arrêter
et les rattraper c'est que je vais plus vite qu'eux maintenant. C'est
bon, le rythme et l'énergie reviennent. Laurent aussi retrouve le
sourire. On double régulièrement. On arrive au premier point
d'eau qui est au km 8, nous sommes un petit groupe à boire un verre
d'eau quand on nous informe que la BH risque d'être juste, on repart
donc vite mais en forme maintenant, de toute façon on ne se laissera
pas arrêter si tôt pour un petit passage à vide !

1er
ravitaillement
3 h 22 de course, on passe finalement
le ravitaillement à 9 h 22 avec la BH à 9 h 40. Maintenant tout
est possible, on a un peu plus de marge question temps. On mange un
peu, soupe, jambon, fruits... Laurent gère l'eau dans les sacs et on
sort les frontales car il commence à faire sombre.
On repart tranquille mais avec un bon
rythme, marche dans les montées, course dans les descentes et entre
les deux suivant l'humeur et l'état, mais plutôt marche nordique.
La nuit va se dérouler sereinement. On papote tranquillement, on est
bien tous les deux. Les ravitaillements sont tous les 20 km environ
avec un point d'eau entre chaque.
7 h 30 de course, 2ème ravitaillement
à 44 km, on a 36 minutes d'avance seulement sur la BH mais on sait
que pour la prochaine étape qui sera la base de vie, elle sera plus
large.
passage
dans une succession de tunnels ferroviaires jamais terminés
10 h 08 de course, on y arrive à 4 h
08 du matin avec 1 h 11 d'avance..
La forme est toujours
bonne, on prend un peu plus de temps. La nourriture est un peu
décevante pour une base de vie, Laurent m'avait raconté des menus
plus sympathiques, mais bon, tant qu'il y a de quoi manger ça va.
J'hésite à me faire masser mais il n'y un peu de queue alors je
renonce. On a un sac de rechange qui nous y attend si besoin. Laurent
se change, on vérifie l'état des pieds, tout est ok, nous allons
pouvoir repartir.
Il fait toujours nuit mais
le jour ne va pas tarder à se lever et c'est en plein jour que l'on
monte droit sur une pistes ski, c'est une noire et j'ai parfois
l'impression que je vais tomber en arrière si je m'arrête !
chacun
cherche la meilleure technique, tout droit ou en zigzag !
Je regarde régulièrement le profil de
la course imprimée sur le dossard. (j'y ai rajouté les horaires des
BH) mais ce n'est pas précis.
Je n'ai pas allumé mon Gps, je le
garde en cas de problème de celui de Laurent, je dois donc lui
demander régulièrement notre kilométrage. J'ai parfois
l'impression que les km n'avancent pas mais ce n'est pas grave, on
n'est pas pressé...
15 h 12 de course, enfin le
ravitaillement des 81 km, cette fameuse distance maudite en trail est
enfin passée. A partir de maintenant, ce ne sera plus que des
records pour moi. Il est 9 h 30 du matin, on a 1 h 12 d'avance sur la
BH (on a pris notre temps à la dernière base de vie). Cependant
les jambes commencent à être un peu raides lorsque je me relève
de ma chaise pour repartir, mais aucune envie d'abandonner alors que
j'entends que les abandons ont déjà été nombreux et que certains
de mes voisins attendent la navette pour rentrer.
Cette nuit on a eut quelques gouttes
de pluie et vu de gros éclairs au loin . Je n'étais pas très
fière,
car pas grand chose pour s'abriter en
cas d'orage en pleine nature ! Maintenant il fait un temps
magnifique et même chaud. A un certain moment, nous dépassons une
fille seule qui est heureuse de voir enfin une autre fille sur la
course solo, mais elle nous annonce qu'elle va malheureusement
arrêter car elle a trop de problèmes. Pourtant elle marche encore
bien ! Moi, je me dis que maintenant, seule une grosse blessure
pourrait me faire abandonner.
joli
champ de coquelicots
long
passage dans un ruisseau
19 h 41 de course, nous arrivons au
ravito du km 103 à 13 h 41 avec 2 h 36 d'avance. Les bénévoles
sont adorables, au petits soins pour nous servir.
Des coureurs demandent à pouvoir
dormir, nous on préfère rejoindre au plus vite l'étape suivante
qui est une base de vie. Une belle descente nous attend pour
rejoindre une rivière avec un passage magnifique appelé « les
marmites des géants »
il fait très chaud et ça
donne envie de se baigner surtout que l'on va attaquer maintenant une
grosse montée en pleine chaleur. Heureusement elle sera souvent
ombragée. Mes yeux commencent à fatiguer, les jambes marchent
toujours bien mais elles ont du mal à courir et maintenant même
dans les descentes je dois me forcer.
24 h 28 de course, c'est bon, on est
arrivé à la deuxième base de vie km 123 à 18 h 28 avec 4 h 12
d'avance. Je rêve de dormir un peu, il y a des beaux tapis qui
m'attirent, Laurent lui est encore bien réveillé. Après avoir
mangé un peu, je récupère notre deuxième sac de change et je suis
en train d'enlever tranquillement mes chaussures lorsque je vois
Laurent revenir des toilettes, il me houspille un peu parce que je
n'ai pas réservé une place sur un tapis et qu'ils sont tous occupés
par un coureur ou un sac. Il a peur que je ne puisse pas me reposer.
Je ne vois pas le problème, les tapis sont grands et l'on peut
s'allonger à côté de quelqu'un d'autre pour dormir. De toute façon
je suis très zen, fatiguée mais zen et heureuse. Je m'allonge sur
un bout de tapis et c'est le bonheur total. Je suis bien ! Je ne
sais pas si je vais dormir mais rien que le fait de m'allonger me
procure une détente bienfaitrice... Je me réveille en sursaut. J'ai
dù dormir quelques minutes. Personne à côté de moi, je cherche
Laurent des yeux et il me semble le reconnaître allongé sur une
table des pédicures. Il se fait soigner les pieds. Ce n'est pas une
mauvaise idée de vérifier l'état des choses car il reste encore un
peu plus d'un marathon à faire... C'est mon tour, quelques petites
zones sensibles, mais pas d'ampoules alors que je suis partie avec
des chaussures neuves jamais utilisées en trail, juste portées 1
fois à la maison et au magasin. On prend notre temps avant de
repartir. On peut laisser les casquettes, crèmes solaires et
affaires pour la journée car l'on va attaquer la nuit bientôt.
Il est presque 20 h lorsque l'on
repart. Me reposer m'a fait du bien mais je sens quand même le
manque de réel sommeil et vers 21 h les premières hallucinations
arrivent (Laurent m'avait raconté les siennes sur le GRP...)
Une première en longeant une clairière, je lui demande pourquoi il
y a cette énorme tour en béton, il ne voit rien et me demande où,
je lui indique l'endroit et là il se met à rire car il n'y a rien à
part des sapins ! Ensuite ce sont des animaux que je vois sur
les bords du chemins, ils nous regardent mais disparaissent lorsqu'on
les dépasse. Oh ! Il y a même des vaches couchées dans le
faussé. Après ce seront des spectateurs qui eux aussi s'évaporent
à notre passage. Il faut dire que le coin est désert, que l'on est
seuls depuis pratiquement le départ de cette étape et ce jusqu'à
ce qu'on arrive au dernier ravito.
29 h 07 de course, nous sommes au km
141, il est 23 h 07 et l'on a 6 h 05 de marge sur la BH . Nous
faisons juste un petit arrêt, il y a quelques coureurs réveillés
ou couchés et les bénévoles nous félicitent pour notre fraîcheur.
Je ne leur raconte pas mes hallucinations... Ils nous préviennent
que cette dernière partie est difficile, limite dangereuse à
certains endroits.
Nous repartons donc pour la partie
finale et nous voyons enfin quelques frontales devant nous.
Dorénavant, je n'ai plus de visions car mes yeux commencent à être
vraiment fatigués. Laurent m'ouvre le chemin et je me concentre sur
le relief. On arrive encore à courir un peu de temps en temps tout
en étant très prudent à cause du terrain très accidenté, de la
nuit et de la fatigue. Les frontales devant nous ont disparu et nous
sommes à nouveau seuls jusqu'à un village au dernier point d'eau où
l'on rejoint les frontales. Le bénévole adorable nous propose un
jus d'orange que l'on accepte volontiers en espérant que ça va nous
tenir éveillé. L'on repart tous les 4, mais ils marchent moins vite
que nous et discutent tranquillement, donc on les laisse, espérant
finir bientôt. C'était sans compter le plaisir des organisateurs à
nous faire terminer épuisés. On se retrouve à monter et descendre
sans arrêt dans une forêt étrange, pleine de gros cailloux et même
parfois d'énormes marches en béton totalement inattendues dans une
forêt perdue loin de toute civilisation . Mes yeux sont maintenant
pratiquement HS, je n'évalue plus la hauteur des obstacles et en
voulant nettoyer mes lunettes je les salis plutôt. Du coup avec la
frontale j'obtiens une vision psychédélique incroyable mais
totalement inadéquate dans les difficultés. Je ne dis rien à
Laurent, je le suis en toute confiance. Notre vitesse est très
ralentie, surtout la mienne car je ne veux pas risquer la chute. J'ai
l'impression de tourner en rond dans une forêt imaginaire. Laurent
m'avoue qu'il a les mêmes sensations, lui aussi commence à fatiguer
et c'est à son tour d'avoir des hallucinations. On se concerte, on
hésite un peu à se poser pour dormir quelques minutes, mais l'idée
du bon lit qui nous attend en bas nous en dissuade.
Enfin c'est le début de la dernière
descente tant attendue. On sait qu'elle va être raide mais on
n'imagine pas que c'est un chemin caillouteux direct dans la pente
pour une descente de 600 D – sans répit. On n'en voit pas la fin.
Je continue à être très prudente et à bien assurer avec mes
bâtons en courant doucement, cela me force à me réveiller et les
cuisses douloureuses se détendent. Finalement, lorsqu'on arrive à
la route tout en bas, on retrouve l'énergie et le plaisir de courir.
On est heureux, on savoure ces derniers km.
Enorme émotion et
plaisir d'avoir réalisé ce défi ensembles ! Et c'est en
courant que l'on passe la ligne d'arrivée à 4 h 56' du matin, soit
34 h 56' 47 '' de course. Vu l'heure, nous osons à peine faire
sonner la cloche !
à notre GPS, 168,44 km...
L'organisateur présent nous félicite,
nous sommes 104 et 105 ème et il m'annonce que je suis la 3ème
femme...
Nous étions 202 au départ, dont 7
femmes.
En tout il y aura 135 finishers,
les autres femmes ont abandonné.
Je n'aurai malheureusement pas droit au
podium avec remise des récompenses officielles par Xavier Tevenard,
car vu l'étalement des arrivées , les lots sont remis au fur et à
mesure.
Finalement, presque deux nuits blanches d'affilées. Les jambes ont tenu, fatiguées, parfois douloureuses mais encore efficaces. Le plus difficile aura été le manque de sommeil. Les yeux n'étaient plus toujours opérationnels à la fin, et à un moment,j'ai même réalisé que je marchais les yeux fermés...
Heureusement que nous étions tous les
deux et que Laurent a su se mettre à mon niveau car nous étions
très souvent seuls et la nuit c'est impressionnant !
C'était long, mais cela ne m'a pas
semblé si difficile. J’étais prête physiquement et mentalement
grâce à mon Laurent, à son
expérience, et s'il m'a amené sur cette distance, c'est qu'il m'en
pensait capable. Bon, j'avais quand même un peu peur, mais il avait
raison…
après
une bonne douche et 2 heures de sommeil
Une
magnifique expérience de motivation depuis l’entraînement jusqu'à
la ligne d'arrivée, de gestion de la fatigue, d'attention à l'autre
et de plaisir d'être ensembles dans cette aventure un peu
extraordinaire quand même surtout dans le milieu de la dentelle...
Un
bonheur partagé, même si le plus beau des bonheurs a été
l'annonce de la naissance de notre petite fille, 2 jours plus
tard !!!